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Second Life, un avant-goût de Métaquine ?

metaquine_vol1.inddIl avait défrayé la chronique peu après sa sortie. Second Life : une des premières expériences de monde virtuel ouvert, à situer entre jeu en ligne, réseau social et monde alternatif. Lancé en 2003, il s’est retrouvé quelques années plus tard propulsé en unes des plus prestigieux médias. Ses possibilités émerveillent, les financiers et les pubards en tous genres l’investissent : c’est le boom. On s’attendait presque au lancement d’un genre. Puis la crise financière est passée par là, et les médias ont eu d’autres chats à fouetter. Le monde virtuel a depuis complètement disparu des radars.

Il m’a fallu la lecture de Métaquine, de François Rouiller, pour raviver son souvenir à ma mémoire. Le SimDom de Métaquine n’est autre qu’après tout qu’une version avancée de cet espace virtuel. Les personnages du roman s’y connectent par l’intermédiaire d’une « calotte de lecture neurologique », sorte de casque high-tech « moins épais qu’un spaghetti », vous immergeant complètement dans ce monde, à la façon des casques du film Avalon (même si le nom semble plus directement faire référence aux jeux vidéo SimCity, Les Sims et autres de la firme Maxis). Et une fois dedans, libre à vous de vivre la vie que vous souhaitez. Sans plus aucune contrainte physique, mais avec tous les risques d’addictions liés.

(c) François Rouiller

(c) François Rouiller

L’alter monde virtuel de Métaquine réveille donc une certaine curiosité pour Second Life. Quelques recherches sur la toile m’apprennent que je ne suis pas le seul à me poser la question de savoir si ce monde online expérimental existe encore. Journaliste au Monde, Morgane Tual a rédigé en avril 2016 un article sur le devenir de cet univers.1 « Je m’attendais à trouver, une décennie plus tard, un univers déserté, une technologie vieillissante et quelques toiles d’araignées dans les coins, écrit-elle. Ce fut exactement l’inverse. » Visiblement, Second Life n’est pas mort et, même si l’euphorie est passée, l’expérience perdure. Mais à quoi ressemble-t-il aujourd’hui ? Au monde parallèle virtuel du SimDom ou à une version moins belliqueuse de World of Warcraft ?

Des fantasmes, mais peu d’imaginaire

Regardons d’abord les chiffres : les serveurs de Linden Lab enregistrent 900’000 connections par mois. On est loin de World of Warcraft, et il serait surtout intéressant de connaître le nombre d’avatars actifs. Néanmoins, le nombre d’utilisateur s’est stabilisé assez haut pour permettre au monde de perdurer et de garder son intérêt. Le départ de tous ceux qui voyaient Second Life comme une nouvelle plate-forme de communication ou de business fut sans doute un mal pour un bien, laissant ces lieux aux rêveurs, aux marginaux et à quelques autres artistes et créateurs. Sans parler de tous ceux qui cherchent par ce biais à assouvir quelques fantasmes libertins. « Le sexe est omniprésent dans le jeu, raconte Morgane Tual. Si certains espaces ne sont accessibles – officiellement – qu’aux joueurs de plus de 18 ans, des publicités pour des services sexuels pullulent dans Second Life. Le jeu est ainsi devenu une porte d’entrée vers des échanges érotiques payants par voix ou par webcam. Second Life est aussi le lieu où s’expriment les fantasmes interdits : certains avatars s’adonnent ainsi à la pédophilie ou la zoophilie. » Les Second lifers se lâchent et leur monde, à défaut d’être différent, est devenu surtout plus exacerbé. Sans filtre – et sans Métaquine pour y ramener la raison.

(c) François Rouiller

(c) François Rouiller

Visiblement, le lieu est devenu l’apanage de la dérision, de l’absurde. De l’imaginaire aussi ? Un peu. La journaliste raconte sa visite de l’école d’Harry Potter, ou du désert de Tatooine de Star Wars, recréés par les internautes. Mais comme le faisait remarquer l’ancien directeur de la Maison d’Ailleurs Patrick Gyger, interviewé sur ce sujet en 2010, on reste beaucoup dans de la copie, plus que dans la création : « Ce qui est très intéressant justement, dans cet univers en ligne, c’est qu’à ce niveau-là, ça ne marche pas très bien. On y reproduit surtout un environnement qui existe déjà – des pavillons de banlieues, des cathédrales, on y retrouve aussi Genève par exemple. […] Mais il n’y a pas, à ma connaissance, de bâtiments aberrants, plus grands à l’intérieur qu’à l’extérieur par exemple, ni de villes à l’envers.2»

Quelques recherches d’images montrent quand même des bâtiments volants, voire une ville vaguement futuriste. Mais on est effectivement encore loin de l’architecture du Thélème de Métaquine, qui foudroie ceux qui posent leur regard dessus. En revanche, un point commun intéressant entre le SimDom du roman et son plus proche équivalent actuel est son application médicale potentielle. Il est pas impossible que dans les décennies à venir, les personnes âgées ou malades issues des générations nées avec internet et Facebook choisissent de s’évader dans un monde virtuel plutôt que de souffrir de solitude, afin d’y retrouver vigueur physique et lien social (pour le pire comme le meilleur, sans doute). Et peut-être devenir comme les stades III du roman de François Rouiller, attachés à leur chaise, ne voulant plus reprendre pied avec la réalité…

A noter qu’un Second Life 2 est annoncé pour 2016 et sera peut-être sorti au moment où vous lirez ces lignes. Une renaissance, assortie d’une nouvelle vague de pionniers du net ? A voir. Ce qu’on en sait, c’est qu’une des grandes nouveautés annoncées sera une immersion dans ce monde via des casques de réalité virtuel… SimDom, nous voilà !

François Rouiller, Métaquine (2 volumes), éd. L’Atalante, 2016.

Vincent Gerber

1Voir Morgane Tual, « Absurde, créatif et débauché : dix ans après, « Second Life » est toujours bien vivant », en ligne sur ce lien.

2Vincent Gerber, « Utopies à bâtir », in Le Courrier, 24 juillet 2010.