La SF suisse, ça s’étudie ?

On connaît généralement bien mal la science-fiction suisse. Malgré tout, un certain nombre d’études sur le sujet ont été réalisées et publiées. Très éparses il y a quelques dizaines d’années, celles-ci commencent à se multiplier – en parallèle à la progression des acteurs au passeport à croix blanche, d’ailleurs. Petit tour d’horizon, à l’intention des futurs chercheurs et autres défricheurs du sujet.

L’un des premiers articles publié s’intéressant à notre production nationale trouve le jour dans les pages du fanzine SwissSF, premier du nom. Un titre publié par Pierre Strinati à l’occasion de la HEICON, la convention internationale qui s’est tenue en août 1970 en Allemagne. Dans cet opus, Demètre Ioakimidis donnait ses « Notes sur quelques auteurs suisses de Science-Fiction ». Trois pages où se retrouvent cités les œuvres SF de quelques grands noms de la littérature suisse, comme Ramuz, Hermann Hesse, mais aussi des précurseurs réellement orientés vers ce genre, comme Noëlle Roger. Sommaire, mais les classiques sont déjà là.

« Les notes qui précèdent ne sont que de sommaires jalons. Il reste encore à accomplir une première circumnavigation » concluait alors Ioakimidis. Ce sera chose faite peu après, par l’entremise de Pierre Versins, bien placé pour s’intéresser à la question avec sa positioagedhomme-versins1972n à Yverdon. Dans son encyclopédie de la science-fiction (1972), l’entrée « Suisse » est particulièrement bien fournie et retrace tous les précurseurs du genre, tout en élargissant le propos à la bande dessinée ou aux paroles de chansons. Et bien que perdues dans la somme de connaissances que représente son ouvrage, ces pages forment la première référence du genre.

On n’en restera pas là. Jean-François Thomas fera du domaine de la science-fiction helvétique le thème de sa licence de Lettres (« La science-fiction suisse romande 1872-1984 : étude théorique et thématique d’un « genre » littéraire discret » en 1985). Se plaçant dans la suite du travail encyclopédique de Versins, il le complétera sous bien des aspects. Un savoir accumulé qu’il partagera à de nombreuses reprises, dans plusieurs articles publiés dans des revues et anthologies helvético-orientées. Le magazine L‘Hebdo accueillera un des premiers (double) articles sur le sujet au début de l’année 1982. Dans un contexte de succession à la Maison d’Ailleurs, Jean-François Thomas et Roger Gaillard publient Entre Yverdon et Bételgeuse: la science-fiction suisse, qui rappelle les enjeux du moment liés à la pérennisation de la collection Pierre Versins ainsi que l’existence d’une tradition suisse de science-fiction. La même année, on retrouve Jean-François Thomas au sommaire de L’Empire du Milieu (« Petit traité d’histoire de la science-fiction suisse », avec un certain Franck N. Vickstein, alias Roger Gaillard, encore lui), avant de nous emmener dans un « Voyage en Helvétopie » (Bienvenue en Utopie, 1991). Une excursion qui se poursuivra lors d’un nectar1982_empire_du_milieunuméro spécial suisse de la revue québécoise Imagine (La SF en Suisse romande, Journal d’un voyage en « Chronomaton », 1993). Il faudra ensuite attendre une quinzaine d’années pour le voir se repencher sur le sujet. Les générations ont alors changé et le renouveau suisse est annoncé dans l’anthologie Défricheurs d’Imaginaire (2009) qu’il a dirigé, ainsi que dans la postface d’une autre anthologie, Dimension Suisse, parue l’année suivante. Et chacune de ces études possède une approche propre et renouvelée. La dernière en date est d’ailleurs peut-être la plus complète, avec son approche par thèmes autant que par auteurs qui donne un réel aperçu de ce qu’est (ou n’est pas) la science-fiction suisse.dimension_suisse

Mais la courte histoire de l’étude de la science-fiction suisse a également connu d’autres acteurs, moins assidus, mais pas forcément moins renseignés. François Rouiller s’y est penché, dans un article qu’on n’a malheureusement pas (encore) retrouvé : « La SF en Suisse romande – Rapport de survol 1992 », paru dans le fanzine KBN. Patrick Gyger, ancien directeur de la Maison d’Ailleurs n’a pas manqué non plus de s’y atteler également dans la préface du recueil Iles sur le toit du mondeune anthologie romande de la science-fiction. Plus indirectement, on pourrait aussi citer Francis Valery, qui a longtemps eu des liens importants avec notre pays et s’y est intéressé dans un article refusé par Fiction (jugé trop « ésotérique et confidentiel »; on aurait pu ajouter fantasque) et repris en ligne sur son blog. Signalons également son texte « A propos d’Arthur Rimbaud et de la Cité entre les mondes », paru dans Iles sur le toit du monde, qui l’air de rien tourne également autour du sujet. Autre approche pour la Genevoise Emmanuelle Maia, avec « La Suisse fantastique », parue dans la revue Ténèbres en 2007, ouvrant sur d’autres recoins de l’imaginaire. EnfiDefricheurs_grandn, depuis sa nomination au poste de directeur de la Maison d’Ailleurs, Marc Atallah a lui aussi largement contribué à la cause. Il a notamment signé le chapitre SF de L’histoire de la littérature en Suisse romande (éd. Zoé, 2015), et on annonce pour la rentrée 2015 une future postface à l’anthologie sur la Suisse à paraître chez Hélice Hélas.

La liste s’allonge donc, mais elle n’est certainement pas exhaustive. Jean-François Thomas mentionne dans deux de ses textes les recherches approfondies sur le sujet de Pascal Ducommun, lui aussi ancien directeur de la Maison d’Ailleurs. Il a notamment écrit en 2011 l’article « science-fiction » du dictionnaire historique de la Suisse. Il faudrait rajouter également Hans-Dieter Furrer, qui dans le fanzine SwissSF II, traitait en allemand du fandom en Suisse allemande (« Fandom in der Deutschsprachigen Schweiz », 1972). Une courte étude, mais probablement l’unique du genre. Un texte qui nous rappelle aussi qu’Ailleurs, en Suisse non francophone, d’autres textes ont certainement essaimé. Reste à mettre la main dessus.

Ce dont on est certain en revanche, c’est que vous venez sans doute de lire la première « étude des études de la SF suisse ». Et ça, ce n’est pas forcément anodin…

Vincent Gerber