Les super-héros et la chaire à canon

Peut-être que ça ne vous a jamais frappé. Personnellement, il y a un point qui me marque à chaque fois que je regarde un film de super-héros (mais ça fonctionne aussi avec les bandes dessinées) : la place de l’être humain « standard ». Dans ces histoires, la séparation entre le héros et le reste de l’humanité est très nette. Il y a, si on schématise un brin, d’un côté celui qui sauve (avec plus ou moins de difficulté) la planète, de l’autre la demoiselle en détresse à secourir, la chaire à canon et des entraves humanoïdes diverses (méchants bandits, otages et autres).

Plus précisément, il existe semble-t-il une règle non écrite qui veut que, dans les histoires de super-héros (ou du moins une très large majorité) :

–         le héros est seul (parfois accompagné d’un faire valoir, ou d’autres super-héros, mais toujours coupé de la masse des gens normaux). Il y a lui d’un côté et le reste du monde, anonyme, de l’autre.
–         lui seul peut régler le problème (ou, là encore, avec ses amis supers-héros, ce qui revient au même). Ce qu’il affronte ne peut généralement être réglé que par ses pouvoirs.

Beaucoup ont pourtant fait remarquer l’identification qui s’opère entre le public avec le héros. On s’évertue aussi à montrer ses côtés « humains » – sa faiblesse, ses sentiments, etc. –  comme pour rappeler sa part d’humanité. On est d’ailleurs plutôt surpris d’apprendre (et le documentaire très bien fait en trois parties diffusé sur ARTE est très parlant là dessus) l’impact positif apporté aux soldats US par l’arrivée du comics Captain America, ditribué sur les lignes de front. On aurait pu craindre l’inverse : un regard objectif sur leur position leur aurait fait prendre conscience que leur propre rôle dans ces histoires tient surtout de la figuration. Captain America sauve l’Amérique, pas eux. Et il en va de même pour les Superman, Spiderman, Batman, X-Men et consorts.

On pourrait bien sûr montrer que dans telle ou telle histoire, un Monsieur ou Madame Tout-le-monde sauve notre héros d’un mauvais pas, mais ce n’est que pour lui permettre ensuite de les tirer eux de l’une ou l’autre catastrophe de plus grande ampleur.

C’est là que pourrait se trouver une différence intéressante avec la plupart des histoires de science-fiction « classiques ». Dans les récits de SF, les événements impliquent généralement très directement des gens du commun, des peuples, voire des planètes. Les héros existent, bien sûr, parfois même avec l’équivalent des supers-pouvoirs, mais ils sont généralement membres à part entière de ces groupes de personnes et n’agissent pas seuls (les contre-exemples abondent certainement et il serait intéressant de les mettre en évidence). Luke Skywalker par exemple – qui est un super-héros à sa manière – fait sa part, mais ne peut rien sans l’armée des rebelles. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui détruit l’Etoile noire dans le final (bon, on pourrait argumenter en ne s’en tenant qu’à l’épisode IV…). De même que Paul Atreïdes n’est pas grand-chose sans ses Fremens. Les armées, les peuples ou des groupes divers jouent dans ces récits un rôle à part entière.

Héros inclusifs face à super-héros exclusifs, la différence est-elle là ? Le sauveur individualiste face au leader collectif ? Peut-être. La preuve la plus flagrante de ce point serait d’ailleurs la suivante : est-ce qu’une histoire de super-héros où celui-ci serait membre d’un groupe de gens commun (et se verrait continuellement aider par ceux-ci) serait encore considérée comme une histoire de super-héros ? Pas si sûr…

Mais difficile au final de reprocher aux histoires de super-héros de se centrer… sur les super-héros. Et tant pis pour ces braves gens qui se font zigouiller là, tout en bas à gauche de la page…   [VGR]