A l’heure où j’écris ces lignes, le roman dystopique (ou contre-utopique) d’Orwell, 1984, est 23ème sur la liste des best-sellers du site de vente en ligne Amazon US. Il est déjà monté à la première place depuis l’investiture de Donald Trump (on aurait aimé que les Américains (re)découvrent ce chef-d’œuvre un peu plus tôt…). En France, toujours sur Amazon, Le Meilleur des Mondes, d’Aldous Huxley, est le livre de science-fiction qui se vend le mieux en ce moment.
Le succès de ces deux romans, publiés respectivement en 1949 et 1931, montre l’intérêt actuel pour ce sous-genre particulier qui consiste à imaginer un monde qui censé être, selon le point de vue adopté, meilleur ou pire que le nôtre.
Si vous connaissez sans aucun doute, au moins de réputation, les œuvres d’Orwell et d’Huxley, et les appréciez, voici quelques autres œuvres internationalement reconnues qui pourraient vous avoir échappé. Petit florilège :
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Nous, d’Evgueni Zamiatine, 19201 :
D-503 est un Numéro de l’État Unitaire, un mathématicien, convaincu de pouvoir contribuer à apporter le bonheur à tout l’univers grâce à un vaisseau spatial, l’Intégrale, dont il est le constructeur. Pour envoyer son témoignage dans les étoiles, il nous décrit donc sa vie, en toute honnêteté. Nous voyons donc à travers ses yeux à quoi ressemble la vie dans l’État Unitaire, sous le joug du Bienfaiteur. Et nous sommes également aux premières loges pour assister à la révolution qui se prépare.
Ce roman, publié en russe à Paris en 1920, est décrit dans l’Encyclopédie littéraire soviétique de 1930 comme « un infect pamphlet contre le socialisme » : il a d’ailleurs valu à son auteur de mourir en exil. Il faut dire que la critique de l’Etat totalitaire n’y est effectivement pas subtile. Le roman est ainsi efficace et malgré tout poétique dans sa description d’un univers régi par les chiffres, peut-être par contraste avec les intentions déclarées du narrateur. Comme dans 1984, l’amour est le grain de sable qui viend se glisser dans les rouages excessivement bien huilés de la politique en place. Le Bienfaiteur n’a cependant pas dit son dernier mot…
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Kallocaïne, de Karin Boy
le, 19402 :
Voici un roman suédois qui n’a pas attendu la vague de popularité que connaissent actuellement les romans du Nord pour être mondialement connu !
Près de 10 ans avant le Meilleur des Mondes, Karin Boye nous propose d’explorer, dans son « Roman du XXIème siècle », un monde où l’État compte sur la chimie pour lui permettre de contrôler ses citoyens. Ainsi, Leo Kall, chimiste vivant dans la ville de chimie n°4, travaille à la mise au point d’un sérum de vérité. Son pays est en guerre, ce qui justifie tous les sacrifices exigés des citoyens. Cependant, il n’y a pas de plus grand honneur que de se sacrifier pour l’État, ni de plus grand bonheur. Pour Leo Kall, les ennuis commencent lorsqu’il ose exprimer, lors d’un discours officiel, l’idée que certaines personnes sont amenées à faire des sacrifices.
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Level 7 (Niveau 7), de Mordecai Roshwald, 19593 :
Écrit comme un roman, il s’agit en fait, et l’auteur ne s’en cache pas dans son introduction datée de 2003, d’un pamphlet destiné à prévenir la survenance d’une 3ème Guerre mondiale nucléaire.
Nous suivons donc l’histoire de X-117, soldat affecté au niveau 7 d’une structure militaire souterraine destinée à assurer la réplique en cas d’attaque nucléaire de l’ennemi. X-117 doit surveiller la situation sur ses écrans, une tâche répétitive et ennuyeuse, mais il a aussi la responsabilité écrasante d’appuyer sur le bouton qui déclenchera la riposte. Il est le défenseur de la Vérité et de la Justice, mais il sait qu’il a bien peu de chances de jamais revoir la lumière du jour. Comme lui, nous découvrons la vie au niveau 7 et attendons, dans l’atmosphère oppressante de cette structure souterraine, de savoir si la guerre nucléaire aura lieu…
Nulle part dans ce livre la nationalité des protagonistes n’est mentionnée, car elle n’a aucune importance : il est bien entendu que les deux camps qui s’affrontent ont chacun mis en place le même mécanisme et connaîtront les mêmes déboires. Le destin de toute l’humanité dépend de ce qui se passe au niveau 7.
Entre les menaces d’attaque nucléaire et la ruée sur les opiacés que connaissent actuellement les États-Unis4, ces romans sont, malheureusement, toujours d’actualité. Gageons que le genre de la dystopie n’a pas encore écrit sa dernière ligne !
Annabelle Amsler
1 Actes Sud, 2017
2 Les Moutons électriques, coll. Hélios, 2016
3 Library of American Fiction, The University of Wisconsin Press, 2004, malheureusement non traduit en français.
4 Voir à ce sujet le reportage de la TSR : https://www.rts.ch/info/monde/8731385-les-etats-unis-face-a-une-epidemie-d-overdoses-due-aux-antidouleurs.html