Coup de cœur : Terra Ignota, d’Ada Palmer

An 2454.
Trois siècles après des évènements meurtriers ayant remodelé la société, les concepts d’État-nation et de religion organisée ont disparu. Dix milliards d’hu-mains se répartissent ainsi par affinités au sein de sept Ruches aux ambitions distinctes. Paix, loisirs, prospérité et abondance définissent ce XXVe siècle aux atours d’utopie. Qui repose toutefois sur un équilibre fragile. Mycroft Canner le sait mieux que personne…
Coupable de crimes atroces, condamné à une servitude perpétuelle mais confident des puissants, il lui faut enquêter sur le vol d’un document crucial, la liste des principaux influenceurs mondiaux, dont la publication annuelle ajuste les rapports de force entre les Ruches. Surtout, Mycroft protège un secret propre à tout ébranler : un garçonnet aux pouvoirs uniques, quasi divins. Or, dans un monde ayant banni l’idée même de Dieu, comme accepter la survenue d’un miracle ?

Née en 1981, Ada Palmer est doctorante en histoire de l’Université de Harvard, avec une spécialisation pour la période « Renaissance » et enseigne à l’Université de Chicago. Elle arrive dans le monde de la SF avec un premier roman (Too Like the Lightning, 2017). Lauréate au prix Astounding pour le meilleur nouvel écrivain 2017, elle a également été nommée pour le prix Hugo du meilleur roman 2017.

L’auteure nous emmène dans un récit contemplatif, critique de notre société contemporaine. Le monde y est écologiquement stabilisé, la distinction entre hommes et femmes ne se fait plus qu’au travers de pronom neutre pour qualifier une personne, les frontières sont inexistantes, et l’athéisme est la seule « religion » qui a cours. L’utopie du monde post-moderne a été atteinte.
Ada Palmer nous brosse ici la face sombre de ce monde que l’on pourrait imaginer idyllique, or il n’en est rien.Construit sur le ton du langage du XVIIIe siècle, apparenté aux dialogues de Jacques le Fataliste de Diderot, on suit Mycroft Canner, le valet de toutes les puissances, enchaîné à ses crimes passés, qui ne dort que quand on le lui dit. Le récit se déroule sur deux plans. Tout d’abord l’enquête de Mycroft pour retrouver la liste des influenceurs et les conséquences politiques et sociétales s’il venait à échouer, ainsi que le secret qu’il cache : un enfant aux pouvoirs divins, alors que le monde autour de lui a banni l’idée même de Dieu.

Plus qu’un récit de SF convenu, Trop semblable à l’éclair dépeint une société (peut-être en devenir ?) qui a muté et s’est défaite de ses peaux sclérosées, mais qui en dessous retrouve ses anciens travers. Cette course effrénée au pouvoir, à la dissimulation, aux intrigues, permet à l’auteure de philosopher sur le statu théologique d’une société athéiste.

Trop semblable à l’éclair apporte une richesse éblouissante dans le paysage SF, d’une profondeur incroyable et qui peut être comparé au Dune de Frank Herbert.Le texte souffre parfois de certaines longueurs, mais permet au lecteur de s’immerger dans cet univers foisonnant, dense, et dont les questions philosophiques et théologiques ne sauraient être évitées alors que se construit le monde de demain.

Terra Ignota, vol.1 : Trop semblable à l’éclair, éd. Le Bélial, 2019.
Terra Ignota, vol.2 : Sept redditions, éd. Le Bélial, 2020.
À paraître en 2021 : Terra Ignota, vol.3, aux éditions Le Bélial.

Article paru dans le D’Ailleurs Infos N°34, janvier 2021.