Retrouvailles littéraires : Le Nouvel Adam

La science-fiction, portée sur les mondes à venir, oublie facilement ses précurseurs. Leur réalité n’est plus la nôtre, et pourtant. Ce n’est pas sans raison que les éditions La Baconnière rééditent Le Nouvel Adam, un siècle après sa parution en feuilleton. Une façon de faire revivre la mémoire de son autrice et de rappeler la place toute particulière qu’elle tient dans l’histoire de la SF suisse.

Il y eut avant elle Emmerich de Vattel, Eugène Pénard, Edouard Rod et quelques autres. Elle n’en demeure pas moins la première autrice suisse romande de science-fiction dont l’histoire a retenu le nom : Noëlle Roger. Un nom qui n’était d’ailleurs pas le sien, mais le pseudonyme sous lequel se cachait Hélène Dufour-Pittard pour écrire ses textes de science-fiction, à l’instar de ce Nouvel Adam. Un roman qui rappelle dans son ambiance et son scénario le Frankenstein de Mary Shelley, qui a sans doute inspiré l’autrice : un savant, le docteur Fléchère (on appréciera le jeu de mot flesh / chair), développe une glande qui multiplie les facultés mentales du cerveau. Après quelques tests significatifs sur des animaux, l’occasion se présente d’un essai sur un être humain : un jeune homme nommé Silenrieux, dépressif, qui vient de manquer sa tentative de suicide… L’homme du futur, le nouvel Adam, est né. Le cerveau est en marche.

On ne se sent pas dépaysé à la lecture par les quelque 100 ans d’Histoire qui nous séparent : le développement de la bombe atomique, les ondes des téléphones sans fil accusées de créer des déséquilibres nerveux, les progrès de la médecine, de l’armement… On est surtout marqué par l’actualité de la description de ce monde où tout va plus vite, avec le sentiment d’être mentalement dépassé par « cette atmosphère […] toute chargée de mots, saturée de messages, parcourue sans cesse par des courants qui propagent la pensée… ». Pour y survivre, il faudrait un cerveau plus résistant – mais celui-ci, prédit Fléchère avant son expérience, produira lui-même plus de découvertes, accroissant encore l’emballement et le surmenage. C’est bien la science et le progrès à tout va qui sont questionnés, avec au cœur du livre un dilemme moral bien connu : est-il légitime d’en sacrifier quelques-uns pour en sauver potentiellement des millions d’autres ?

Après la réédition du Nouveau déluge par la Maison d’Ailleurs et les éditions Stentor il y a quelques années, c’est un nouveau classique de Noëlle Roger qui est rappelé à notre bonne mémoire. Un classique d’une autrice qui avait bien saisi les enjeux de son temps. Un texte bien mis en avant par une préface de l’historien Michel Porret.

Noelle Roger, Le Nouvel Adam, éd. La Baconnière, 2022, 336 p.