Jef Bertels, un univers à part

Elle s’appelle « Ancêtre », ou « Voorouder » dans le flamand natal de son concepteur. Une toile impressionnante de 100 cm sur 73 sur laquelle s’est porté le choix de Jef Bertels pour illustrer la nouvelle carte de membre de l’AMDA.

Carte 2022 – Jef Bertels

On connaît peu Jef Bertels dans le milieu. Il n’apparaît pas dans les couvertures des éditions francophones, tout au plus les amateurs de rock l’auront-ils découvert à travers le groupe Ayreon, dont il a longtemps illustré les pochettes. Dommage, car son talent n’a rien à envier aux Foss, Howe, Siudmak, Manchu et autres H.R. Giger. Né en 1961, l’homme associe la minutie d’un Druillet à l’univers personnel d’un Giger, en moins torturé, mais non moins prenant et percutant. Que ce soit à l’huile, comme pour l’Ancêtre, ou à l’aquarelle, on retrouve des paysages, parfois désertiques, parfois peuplés de créatures étranges et de vaisseaux comme marqués par les âges, ou rongés par la rouille. « J’essaie de vous fasciner visuellement avec une beauté étrange et intrigante » raconte l’artiste, qui cherche dans ses toiles à transmettre une forme d’énergie. C’est réussi, dans ce contraste entre le calme de la séquence et la force d’évocation qui en émane et qui à eux seuls raconte des histoires.

L’imagination de Bertels fait la part belle aux détails. Cette minutie représente une des caractéristiques de ses œuvres, même dans les petits formats, et doit beaucoup à l’inspiration libre. Partir d’une expression, d’une image d’un livre, et laisser dérouler l’imagination. « Parce que mon univers est détaillé, les gens ont parfois l’impression que c’était construit à l’avance. Pourtant, ma composition est pour une bonne part, basée sur le plaisir de griffonner sans réfléchir, et ensuite, y aller rechercher des formes et idées intenses. » Une toile à l’huile comme l’Ancêtre demande plusieurs mois de travail, notamment en raison du temps de séchage des différentes couches, ce qui permet à Bertels de travailler sur plusieurs tableaux à la fois. Pour autant, l’artiste n’a pas été porté par les appels du numérique. Le fait main, la peinture, c’est ce qu’il aime, avoue-t-il. Toucher la matière autant que les gens. Avec le plaisir pour le spectateur du grain, de la couleur et du relief qui émane du tableau.

L’attrait du peintre flamand pour la science-fiction ne date pas d’hier. La bibliothèque d’un père passionné lui ouvre la porte des grands classiques : Asimov, Frank Herbert, Larry Niven, Clifford Simak… Il cite encore, découvert plus récemment, le cycle de la Culture de Iain M. Banks. « Si j’étais obligé de choisir un seul écrivain, nous déclare-t-il, je dirais Arthur C. Clarke. Sa façon d’exprimer la poésie de la science m’inspire toujours. »

Jef Bertels, La Roche-sur-Foron, 2021. Photo: AMDA.

On peut voir dans l’Ancêtre une œuvre forte de puissance, de couleurs et de douceur également. Le hors-normes de l’extra-terrestre se mêle ici à une touche d’amour filial. Une forme de tendresse particulière, rugueuse et caractéristiques des mondes organiques sur lesquels s’attarde depuis longtemps le peintre. « Les soi-disant portraits, portraits de groupe ou de créatures, sont une tentative de couler les organismes, les caractères et les sentiments dans des formes musclées. Les réactions du public sont très différentes, de ‘atroce’ à ‘tendre et plein d’amour’ pour la même œuvre. »

Et vous, qu’avez-vous ressenti en découvrant cet œil bleu qui vous regarde ?

www.jefbertels.com

Vincent G.


[Les citations de cet article sont issues de l’artbook, Secrets quotidiens d’un univers et d’échanges avec
l’auteur.]